La galerie Almine Rech de Bruxelles a le plaisir de présenter la première exposition personnelle de Jean-Baptiste Bernadet à la galerie. Intitutlée So Far, So Close, cette exposition s’organise autour d’un groupe de tableaux issus de sa série déjà connue des Fugues, montrée pour la première fois en Belgique.
Bernadet produit ces tableaux avec une technique à la simplicité trompeuse. La peinture se constitue, progressivement et systématiquement, bien que toujours intuitivement, de très nombreuses touches rapides de peinture à l’huile au moyen d’une palette vive de couleurs, mélangées avec de la cire et de l'alkyde. Chaque touche est appliquée avec de légères variations mais l'effet général tend néanmoins à l'unité, la peinture étant construite de façon all-over. Bernadet cherche à éviter que des parties du tableau soient trop saillantes et ainsi, tandis qu’il peint il ajuste constamment la surface picturale dans le but que l’oeil ne puisse se fixer en un point précis. Pour cette raison, toutes les analogies naturelles suggérées dans les Fugues, et surtout celles que l’on pourrait faire avec des paysages, ou le ciel, existent en tant qu'expérience plutôt qu’iconographie. Ces étendues de couleurs ondulantes et vibrantes cherchent à recréer une impression similaire à celle que l’on peut ressentir dans la nature, lorsqu’une brise légère fait frissonner l'herbe ou scintiller la surface d’un étang, plutôt que d’en répertorier littéralement la vue qu'on en aurait.
S’agissant des Fugues, Bernadet s'est toujours laissé guider par la façon dont une œuvre donnée prend forme lors de sa création même. Cette variation récente de la série montre que Bernadet a atteint un tel degré de sophistication et de familiarité avec l'acte de création de cette œuvre qu'il peut commencer à diversifier les tableaux individuellement, tant par leur facture que leur couleur. Si les nouveaux tableaux conservent l'unité du all-over et l'orientation optique caractéristique de la série, ils le font avec un tissu moins serré de touches peintes. De même, les tableaux présentent désormais une plus grande variété de couleurs, à la fois dans chaque toile que de l’une à l'autre. Les peintures plus anciennes, bien que toujours construites à partir d'une combinaison de rouge, jaune, vert, bleu, orange et violet, avaient toujours une tonalité dominante, par exemple un jaune, un vert pâle, ou un rose vif, de façon très similaire aux compositions musicales évoquées par le titre Fugue. Les bleu, les violets, dominent maintenant dans certains tableaux, ce que Bernadet faisait rarement jusque là.
La série Fugues constitue un point central, un pivot de la pratique de Bernadet. D'un côté, il s'agit d'une démarche formelle où l'artiste explore son intérêt pour la couleur dans une tradition de la peinture coloriste et optique héritée d'artistes européens et américains tels que Claude Monet, Édouard Vuillard et Odilon Redon et, plus récemment, Josh Smith ou Joe Bradley. Sur le plan conceptuel, ces tableaux illustrent la recherche et les questionnements de Bernadet sur la nature de la perception. Comme ses prédécesseurs coloristes, Bernadet joue sur la façon dont les couleurs et leurs interactions réveillent nos sens et nous permettent de réfléchir en retour sur la nature de cette activation sensorielle, phénomène constaté alors que nous sommes, par nous-mêmes et par l’artiste, conditionnés comme les produits d'un temps et d'un lieu donnés.
En ce moment qui est le nôtre, les images, les couleurs et les formes qui les composent sont devenues partie intégrante du système circulatoire de la condition “en réseau”, porteuses de nouvelles significations et connections. Ainsi, Bernadet explore notamment la façon dont les couleurs propres aux écrans (matérialité des cristaux liquides rétroéclairés), saturées et artificielles, affectent cette circulation. C'est aussi en cela qu'il demeure un peintre non figuratif, sachant que cette forme de méta-critique est beaucoup plus efficace que toute forme de microgestion d'images spécifiques. Bernadet étend ce principe à toute sa pratique, non seulement par la façon dont la couleur se répand sur la toile comme sur les céramiques, mais aussi par la façon dont, dans ces oeuvres tridimensionnelles, il explore la fusion de l'image et de l’objet qui deviennent indissociables. La couleur, mais aussi la déformation physique inhérente au processus de cuisson, effacent les contours qui nous permettraient de distinguer un objet de son environnement.
Ainsi, dans la nouvelle série d'œuvres présentées dans cette exposition aux côtés des Fugues, Bernadet peint d’abord un fond constitué d’aplats et de dégradés de couleur, comme lorsqu'il commence les Fugues, puis utilise un rouleau pour étaler de la peinture noire en bandes linéaires traversant toute la surface du tableau. La surface est fragmentée en facettes, ce qui révèle mais aussi oblitère les explosions de couleurs atmosphériques emblématiques de Bernadet, gênant notre vision à percevoir facilement ce qui semble exister derrière ces marques noires rendues de façon mécanique; tout en montrant comment peut évoluer le travail de Bernadet, par expansion et révision simultanées.
— Alex Bacon