Almine Rech Bruxelles a le plaisir de présenter « be delirious reveries ringing », troisième exposition de John McAllister à la galerie.
L’exposition rassemble plus de 30 huiles sur toile, paysages visionnaires inspirés par les contreforts des Berkshires, dans l’ouest du Massachusetts, où McAllister vit et travaille.
McAllister cherche ici à représenter – ou plutôt à recréer – les moments d’intense bonheur qu’il vit dans la nature. Le titre de l’exposition, formulé comme une injonction, témoigne aussi de sa propre expérience. Sa peinture offre d’infinies possibilités de rêverie extatique tout en exagérant à l’extrême les conditions qui existent dans la nature.
McAllister peint rarement, voire jamais, à partir de photographies. Ce qui peut paraître surprenant quand on suit son travail, surtout les premières toiles qui l’ont fait connaitre - scènes emboitant des images dans des images, paysages encadrés de portes et de fenêtres, intérieurs entourés de bordures décoratives - qui affirment leur picturalité non pas comme moyen d’entraver la contemplation ou l’exaltation, mais de les magnifier.
Dans ces nouvelles peintures – comme dans l’essentiel de sa production des trois dernières années - McAllister fait l’impasse sur les guillemets compositionnels de ses travaux passés. Chacune invite à une contemplation extatique, quels que soient les dimensions (les plus petites ne mesurent que 30 x 23 cm) ou les formats. McAllister poursuit ici son exploration des tondi, cartouches et toiles formées reproduisant le champ de vision humain pour révéler que le plan rectangulaire convenu d’une image est tout autant - sinon plus - un artifice stylistique qu’un rond ou un ovale.
On retrouve encore toutefois des cadres et autres fioritures stylistiques. Dans la plupart des tableaux, le regard franchit ce que McAllister appelle un « cadre de scène » composé de feuillage, souvent accompagné d’un plan d’eau exprimant la profondeur horizontale. On aperçoit parfois des montagnes au loin, ou un rougeoiement résiduel évoquant la présence d’un soleil qui vient de plonger derrière l’horizon.
L’enfilade de repères scalaires - de la représentation détaillée des feuilles au premier plan aux montagnes du fond, jusqu’à l’étoile de notre système solaire, à 150 millions de kilomètres - nous fait prendre conscience d’une immensité qui s’approche du sublime. McAllister ne dispose pas forcément ces repères de manière uniforme (les plantes du fond, par exemple, sont figurées avec presque autant de précision que celles du premier plan), mais la rigueur avec laquelle il répartit le détail des textures et des aplats, les contrastes et affinités de tons, les vides et les pleins concourt à créer des scènes qui font preuve d’un équilibre et d’une harmonie picturale proches de la perfection.
McAllister a toujours été influencé par les modernistes comme Bonnard, Vuillard ou Matisse, qui eux aussi ajoutaient motifs et décorations à leurs tableaux, par le mouvement anglais Arts and Crafts, ou encore par les écrivains et philosophes transcendantalistes établis dans le Massachusetts au milieu du 19e siècle. Et aucun de ces artistes n’a jamais considéré l’artifice et l’invention esthétique comme incompatibles avec une profonde réflexion spirituelle ou transcendantale.
McAllister reconnaît volontiers que lorsqu’il est plongé dans un paysage, même le plus spectaculaire, il lui est impossible de ne pas penser à tous les tableaux de paysages qu’il a jamais vus, sans parler de toutes les photos de paysages et films qu’il a vus, ou livres qu’il a lus. Il n’y a rien d’intrinsèquement merveilleux dans un point de vue sur la terre et le ciel : le paysage est une construction culturelle. Pendant des siècles, la nature indomptée a été considérée tour à tour menaçante, inquiétante, ennuyeuse, impie ou tout bonnement laide : ce n’est en réalité que depuis l’époque romantique que les bois, les lacs et les couchers de soleil sont devenus objets de vénération esthétique. La nature a depuis été façonnée par l’intervention humaine pour favoriser une contemplation apaisée ; dans le Massachusetts, comme dans d’autres zones densément peuplées, on a défriché les forêts, endigué les rivières, créé des lacs et étangs pittoresques, balisé les chemins et installé des points de vue.
James Turrell a démontré qu’il n’y a pas de différence qualitative entre la lumière naturelle et la lumière artificielle ; pour McAllister (et de nombreux artistes avant lui), il n’y a pas de différence qualitative entre les sentiments d’extase et de transcendance provoqués par des phénomènes naturels ou non. « Je trouve qu’il est important, même si je peins des paysages, de prendre du recul par rapport à la nature », explique-t-il. « Je ne tends pas un miroir à la nature. »
La peinture de McAllister nous invite plutôt à réfléchir sur notre place dans le monde, un monde qui renferme chaque œuvre d’art jamais produite, tout comme il renferme chaque arbre, feuille et brin d’herbe.
- Jonathan Griffin, writer and art critic