Intitulée How We Remember, cette exposition de Michael Kagan est accrochée comme dans un lieu de culte, preuve de la vénération qui sous-tend son œuvre. Six fusées Titan sont exposées en groupes de trois, face à face. Avec une poussée pleine de promesses, elles entament chacune leur mission Gemini. Réalisées en sérigraphie émail sur lin, avec une superposition de peinture à l’huile, elles constituent un sextuor d’images identiques, mais traitées différemment. Fragmentées par le hasard du marquage, signe de l’étonnement qui a prévalu à leur création. À la NASA, quand un lancement est imminent, la tradition veut que l’on dise allumons cette bougie. Les mots s’envolent. Les fusées elles-mêmes figurent des bougies - six fusées en confluence - une pour chacune des missions Apollo qui ont atteint la lune. Un peu comme les bougies de la tradition juive du Yarhzeit, que l’on allume pour l’anniversaire d’un décès. Bon vent Ed White. Bon vent Gus Grissom.
Isolé sur un mur central, le plus grand des tableaux représente un astronaute de l’emblématique mission Apollo 11, figé dans une pose d’attente devenue légendaire. Ce sont les missions Gemini qui ont finalement abouti au programme Apollo. Gemini et Apollo ont fait des victimes, alors on allumait des bougies pour les âmes perdues, en mémoire de ceux qui nous ont précédés. Les images des fusées sont accrochées de part et d’autre de l’astronaute, au garde à vous, sentinelles sans visage. L’homme qui a revêtu cette combinaison spatiale incarne la folie et la gloire de l’accomplissement humain qui nous a collectivement amenés à la surface de la lune.
L’auteur Bruce Hainley a un jour évoqué le « quarterback blessé » comme archétype essentiel du mâle américain, héros mis sur la touche et qui, malgré lui, voit s’envoler l’espoir d’un destin glorieux. Il y a quelque chose chez les Buzz Aldrin de ce monde qui s’inscrit dans cet esprit, comme si le miracle de l’alunissage leur avait définitivement coupé les ailes.
Alors que le secteur privé nous incite à nouveau à regarder vers le ciel, ce retour en arrière, loin d’être passéiste, constitue un espace réservé aux aspirations non encore réalisées. Comme l’expliquait Arthur C. Clark - l’auteur de 2001 : L’odyssée de l’espace - « La seule façon de découvrir les limites du possible, c’est de s’aventurer un peu au-delà, dans l’impossible ».
- Bill Powers