Longtemps ignorées et privées de reconnaissance, les femmes artistes ont été dominées par des sociétés patriarcales et éclipsées de l'histoire de l'art. Il faudra attendre les mouvements sociaux et les luttes féministes des années 60 pour qu'elles gagnent en visibilité en tant qu'artistes mais aussi en tant que femmes. Cet héritage a profondément marqué les artistes d'alors et celles des générations suivantes, ouvrant la voie à une meilleure considération de leurs revendications et de leur art. En 2025, la Fondation Villa Datris invite à découvrir le travail de 64 artistes engagées venues du monde entier en exposant des œuvres qui interrogent les grands enjeux contemporains. Féministes, écoféministes, défenseuses des droits humains, militantes contre le racisme et proclamant la liberté de disposer de leur corps, les artistes choisies investissent des luttes toujours essentielles. L'exposition met en lumière l'invisibilisation des femmes et la persistance de leurs combats rappelant combien il est crucial de préserver les droits acquis. 'ENGAGÉES' souhaite également éveiller les consciences là où de nombreux combats restent à mener.
Embryoner la lutte !
Depuis la Renaissance, le chemin qui conduit les femmes à pratiquer les arts et à accéder aux réseaux de reconnaissance officielle s'apparente à un parcours semé d'embûches. Sous l'Ancien régime, l'Académie royale leur refuse l'étude de l'anatomie d'après le nu, connaissance obligatoire pour se mesurer à la peinture d'histoire. En réponse, des académies concurrentes s'ouvrent à Paris.
Après la Révolution, elles peuvent désormais concourir au prix de Rome, se mesurer à la peinture d'histoire, exposer au Salon et entrer dans les collections d'Etat.
Alors que le XIXe siècle est prompt à opposer les sexes et reléguer les artistes citoyennes au statut de mère au foyer, le germe même de la notion d'avant-garde anime leur état d'esprit. Ce souhait d'indépendance se traduit par la volonté de se démarquer du maître d'atelier chez qui elles se forment.
Engager le corps, libérer la parole
Sur la reconstruction d'un continent et de ses institutions au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les femmes des années 1960-1970 prennent conscience de leur féminité comme un électrochoc. Aux États-Unis et en Europe, le féminisme éclot sur un lit de frustrations et de peurs. Les femmes s'engagent quand il s'agit de remettre en cause les distinctions de genre, qui continuent d'être une catégorie fondamentale de notre système culturel.
Lieu d'asservissement depuis la nuit des temps, le langage savère chez les «engagées» une forme d'art qui induit l'action: on placarde les mots en grand autant qu'on édite dans la confidentialité. Qu'il s'agisse de constater ou d'atteindre le but escompté, le langage vise à déconstruire les stréotypes, à rassembler les identités multiples, à aborder l'inégalité entre les sexes et dénoncer les structures du pouvoir...
Engagées, engaged, enragées
Les militantes de la première heure s'approprient et transforment des techniques qui sont celles que l'on dit propres aux femmes selon « un ordre naturel ». Elles démontent le stéréotype de la « nécessité biologique », en tissant, en tricotant, à des échelles telles, que la monumentalité l'emporte et que la fibre s'arroge les pouvoirs de la sculpture.
Rétrospectivement, l'art textile incarne une libération profonde, voire existentielle, d'artistes qui se sentent : engagées (militantes), engaged (mariées), et enragées (activistes). Cette trilogie se poursuit chez les générations suivantes qui répondent aux problématiques de leurs époques, avec en question de fond, l'incrédule interrogation formulée par Linda Nochlin en 1971, dans son essai: Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?
Activisme visuel, activisme social
En découle une perméabilité des moyens d'expressions, un décloisonnement des médiums et des sources. Plus seulement modèle, muse et sujet des arts, la femme se réapproprie son corps, par la performance. La peau, la sensualité et la sexualité couvrent les années historiques du happening. En s'alliant à l'image, la performance participe à l'activisme visuel et social de l'art contre la violence.
Résister, imaginer
Aux questions politiques, les artistes souvrent aux questions éthiques dans les années 1990. Les artistes afro-américaines, indiennes, africaines du Nord au Sud, s'intéressent aux convergences de l'héritage colonialiste. Elles réouvrent le dossier de l'histoire et des lieux de mémoire, comme elles se réapproprient leur visibilité.
À travers le mythe, les écoféministes s'engagent pour la protection des écosystèmes et la défense des minorités. Cartographies réparatrices, architectures utopiques, l'art prend le chemin de la dénonciation des formes de maltraitance à l'égard du vivant et de la célébration de son étonnante résilience.
Commissariat d'exposition: Danièle Marcovici et Stéphane Baumet