Almine Rech Paris, Turenne a le plaisir de présenter la quatrième exposition personnelle de Joseph Kosuth à la galerie, du 12 septembre au 11 octobre 2025.
« Musil se méfiait de la réduction pragmatique à laquelle le langage soumet la complexité de nos expériences. Il tenait à ce que son écriture refléta la discontinuité qui caractérise une grande part de l’expérience vécue. »
- Joseph Kosuth
À Paris, l’exposition de Joseph Kosuth, chez Almine Rech est une exposition secrètement et profondément émouvante. Nous sommes en face d’œuvres anciennes (1988) comme d’œuvres récentes dont le choix, la composition dans l’espace sont d’une extrême actualité. Celle de l’artiste comme celle de la société, en péril, dans laquelle nous vivons.
Bien sûr, ainsi qu’il en est dans les principes de sa création et de sa pensée, il n’y a ni rhétorique, ni discours mais, bien au contraire, répétée, cette question énigmatique, en néon blanc froid, blanc chaud, jaune, vert, bleu cobalt, orange, violet : Any message ? Y-a-t-il un message ? La réponse n’est pas formulée et cependant, à partir de la question, le sens se met en marche. Il nous projette dans l’expérience essentielle de Joseph Kosuth qui est de « travailler sur les relations entre les relations ».
Relations qu’il indique pour les pièces Any Message avec le texte 1984 de George Orwell dont j’éprouve, chaque jour davantage, la profonde justesse quant à l’évolution de nos sociétés. De l’hypothèse à l’avènement d’une réalité, ce mouvement est loin de s’achever comme le laisse supposer la subtilité des relations mises en place dans cette exposition.
Ainsi, en un long néon d’un blanc chaud, je lis « Nothing can be brought to an end in the unconscious ; nothing is past or forgotten. » phrase créée au néon « en relation » avec la pensée de Sigmund Freud. Elle ouvre le présent, celui de nos existences comme élément déterminant de nos vies. Présent que l’inconscient renouvelle, sans cesse, portant la course du temps. Celui du réel comme celui du rêve, celui qui nourrit nos vies comme celui qui est à l’intérieur ou devant nous. Ce temps, dont on ne sait pas s’il existe bien que nous lui donnons substance par un principe de mesure induisant situations, positions et interprétations. Avec lui, ne sommes-nous pas, quotidiennement dans la comparaison, comme l’indique Joseph Kosuth, entre un début, un milieu et une fin travaillés par l’écart entre eux ? Any message ? La réponse est celle d’une mise en regard qui permet à chacun d’entre nous d’éprouver existentiellement, concrètement un concept qui est un acte. Joseph Kosuth dans ses travaux, utilisant des horloges, nous plonge physiquement, mentalement dans la rotation des aiguilles. Celle qui peut commencer par cette indication : « The starting point is the present perception », horloge imaginée en collaboration avec cette phrase de G.E.M Anscombe, l’une des trois exécutrices testamentaires de Wittgenstein. Les questions posées par les œuvres de cette exposition sont celles qu’un artiste éprouve quand la vue du monde autour de lui ne suffit plus pour nous être suffisante. L’intention de l’artiste n’est-elle pas de construire logiquement et, je crois, poétiquement une exposition qui nous offre le vif de cette expérience significative, traversée par le temps.
Nous, contemporains de Joseph Kosuth, qui habitons nos existences, nos cités, les projections de nous-même en regard de la pensée qui nous construit. Joseph Kosuth associe une heure, 9h20,[BG1] matériau du jour ou de la nuit, à ces phrases :la phrase How early can you be ready ? À quelle heure pouvez-vous être prêt ? et à l’autre, Tomorrow we go. Demain nous partons. de Daphné Du Maurier et de Virginia Woolf. Any message ? Question que l’artiste se pose à lui-même et qu’il nous pose pour éprouver notre présence, notre matérialité dans les architectures des villes comme Venise, New-York ou Paris où il vient de réaliser au 4 Place des Victoires, Forme Appliquée, une œuvre au sol, au milieu de tous les autres sols au sein d’un site mémorable, animé par les mythes politiques et oniriques de cette ville. Par l’emploi d’un modèle logique, mathématique et géométrique, il a réalisé un pavement architectural, utilitaire et qui cependant, pour le promeneur Baudelairien, celui de Walter Benjamin, devient une planche d’appel pour, dans ce quartier historique, précisément daté, faire surgir une pensée, sans terme, aux combinaisons infinies. J’imagine que dans cette promenade, depuis le Marais jusqu’au Palais Royal, pour les passants séculaires comme les citadins d’aujourd’hui, cette expérimentation du sens, de l’architecture et du temps qui fera de nous, en 2025, plus que jamais, des êtres singuliers, mobiles et vivants.
— Olivier Kaeppelin