Almine Rech Paris, Front Space a le plaisir de présenter la quatrième exposition personnelle de Roby Dwi Antono à la galerie, du 14 juin au 26 juillet 2025.
L'image frappante de « A Ritualistic Purification of The Water Nymph » suscite de nombreuses questions. Qui se trouve dans ce qui ressemble à un linceul de poisson ? Survivra-t-elle ? On se pose d'autres questions encore en regardant le reste de l'image et en tentant de comprendre d'autres éléments qui défient toute logique.
Peintre autodidacte, vivant à Yogyakarta, Roby n'a jamais été du genre à parler outre mesure de ses motivations ou de son inspiration. Même lors d'interviews avec les médias, on a l'impression que Roby préfère laisser ses peintures parler pour lui :
« Je dirais souvent que mes œuvres recèlent un ensemble de langages qui ont des significations très personnelles pour moi. Mais, en même temps, je m'efforce de pouvoir créer des œuvres qui peuvent susciter des émotions chez les gens. Je laisse des indices visuels dans mes œuvres qui agissent comme des énigmes mélancoliques, pour que mon public y pose son regard et son esprit. J'adore ça, quand les gens essaient de deviner le message qui se cache dans mes œuvres, et chaque personne finira par avoir sa propre interprétation, ce qui est une bonne chose car cela ouvre la voie à un nouveau dialogue enrichissant entre nous. L'expérience humaine touche à la fois l'idée et l'aspect visuel de mes œuvres »[i].
De là, par où commencer pour comprendre les images de Roby, surtout avec cette dernière série de tableaux ? Peut-être qu'un point de départ est de rechercher certains éléments qui nous seraient plus familiers que nous pensons.
Revenons à l'œuvre « A Ritualistic Purification of The Water Nymph » : on remarque la présence importante de l'eau. Outre la nymphe d'eau, l'élément de l'eau en tant que signe de vie est omniprésent, pour revitaliser ou peut-être ressusciter un être échu. C'est là le premier point de départ de cette série actuelle de peintures. Les œuvres qui suivent, telles que « Collecting Mourning Water » ou « Reviving Dying Springs », traitent d'un thème similaire : l'eau comme source de peine et de vie.
Lors d'une interview en ligne avec la galerie, Roby parle de l'existence de petites sources dans le village où il a grandi, appelées belik. Localisées près de rivières ou de plantations, ces sources sont souvent gardées par des villageois habitant à côté et entretenues comme sources d'eau potable pour les communautés environnantes. Ces sources communautaires d’eau sont d'autant plus précieuses lors des saisons sèches. Un certain belik était permanent pendant des années, protégé par l'ombre d'un vieux figuier des banians et enveloppé d'un mythe. On disait qu'il était gardé par un kotes, un type de poisson tête-de-serpent considéré sacré par les anciens des environs. La présence du kotes signifiait que la source était sous une protection surnaturelle. Déranger le poisson pouvait porter malheur, ce qui décourageait toute interférence ou exploitation. Non loin se trouvait un gros rocher connu sous le nom de Watu Ngorok, qui émettait des sons mystérieux la nuit, disait-on. Ces mythes et ces symboles, transmis au fil des générations, ont servi de rappel important quant au caractère sacré de la nature, inspirant une certaine retenue envers l'environnement et le respect. Pour Roby, ces souvenirs sont plus qu'une inspiration pour l'atmosphère de ses compositions ; ils sont le fondement d'une réflexion sur la sagesse ancestrale et la responsabilité environnementale.
Resource considérée comme acquise voire comme allant de soi pour la plupart d'entre nous, l'existence d'un belik souligne un défi plus important qui touche une plus grande partie du monde en voie de développement : l'eau potable pour la consommation quotidienne. Si le but de cet essai n'est pas de débattre des raisons de ce défi, on peut dire que l'existence des belik implique un échec soit de la part des décideurs politiques, soit des entreprises locales qui gèrent les ressources en eau. Mais plus intrigant ou pertinent encore pour ce qui concerne la dernière série de tableaux de Roby, c'est la manière dont il s'éloigne de ses souvenirs de belik et les déploie comme des indices et des métaphores visuels au sein de ses compositions.
Avec les peintures mentionnées ci-dessus, ceux qui suivent le travail de Roby auront remarqué un nouveau dénouement dans ses compositions à mesure qu'elles deviennent plus complexes. Si les figures mélancoliques restent visibles, elles font partie d'un paysage plus ample. Soigneusement composés, ces paysages idylliques évoquent une utopie où la nostalgie et les rituels populaires coexistent à parts égales, nous obligeant à remettre en question nos notions de science et de progrès.
Si les œuvres précédentes de Roby peuvent être comprises comme étant plus personnelles et introspectives, l'exposition actuelle annonce son engagement envers des défis contemporains plus amples relatifs à des problèmes mondiaux concernant l'environnement, mais surtout les systèmes de connaissances et le rôle de ce que les anthropologues appellent le « savoir populaire ».
Les personnages féminins dans le linceul du poisson représentées dans plusieurs peintures et dessins, bien que déroutantes pour les non initiés, semblent suggérer une sorte de « gardiens » selon la tradition des folklores historiques traitant des nymphes d'eau. Qu'on les perçoive comme un avertissement ou un symbole de vitalité, notre lecture de ces images dépend, en somme, de notre concept, depuis des générations, de la science et de la raison, du progrès et de la communauté. Roby nous invite à interroger ces nuances à sa manière : à travers ses compositions pop et surréalistes.
Puisant profondément dans sa réserve de souvenirs et d'expériences personnelles, les tableaux de Roby traitent souvent de sujets comme l'amour, la famille ou les souvenirs d'enfance, entre autres. Cependant, ses circonstances personnelles ayant évolué ces dernières années – y compris avec l'arrivée d'un nouveau-né et l'ajustement à une attention grandissante portée à son travail – l'artiste projette peut-être son regard sur des horizons plus lointains avec une vigueur renouvelée. L'exposition en cours annonce la suite : Roby révèle encore et toujours ce qu'il peut offrir à partir de son répertoire d'images.
Le titre de l'exposition, Tilik Belik : Visiting the Ailing Spring, s'inspire d'une expression javanais qui, traditionnellement, fait référence à une visite que l'on rend à un(e) malade, faisant preuve d'attention, de présence et d'empathie. Dans ce contexte, le geste de tilik devient alors une métaphore poétique pour le soin apporté au paysage en détresse. Le belik, autrefois source d'eau vitale entremêlée de mythe et d’équilibre écologique, disparaît désormais peu à peu – physiquement et culturellement parlant – sous le poids de la modernisation. Mais en invoquant cette phrase, Roby propose une tendre rencontre, presque ritualiste, avec la perte.
— Syed Muhd Hafiz, independent curator, Commissaire d'exposition indépendant vivant entre Singapour et la Malaisie)
[i] https://hypebeast.com/2019/1/pen-and-paper-roby-dwi-antono-artist-interview