Almine Rech Paris, Turenne a le plaisir de présenter 'Home is Not a Place', la deuxième exposition personnelle de Jess Valice à la galerie, du 14 juin au 26 juillet 2025.
Dans cette exposition, Jess Valice se penche sur la nature complexe et souvent contradictoire du foyer, un concept qui fascine depuis longtemps philosophes et poètes. Comme l’ont exploré Nietzsche et Rilke, il est à la fois source de réconfort et d'appartenance, mais aussi lieu d’aliénation potentielle. L’artiste s’empare de cette dualité, réfléchissant au désir profond de refuge, tout en explorant comment les lieux les plus familiers peuvent soudainement devenir empreints de malaise face à la perte et au changement.
L’artiste nous invite littéralement à entrer dans une installation immersive représentant sa propre chambre à coucher, symbole ultime du sanctuaire. Baignée d’une teinte bordeaux, la pièce évoque à la fois la sécurité du ventre maternel et la chair vive d’une plaie ouverte. En face du lit, une projection vidéo dévoile un jardin inondé de soleil, où le chant des oiseaux crée une atmosphère paisible – c’est en réalité la vue depuis sa fenêtre. Ce moment de quiétude extérieure contraste avec l’engourdissement intérieur. Les visiteurs sont invités à s’asseoir sur le lit, adoptant ainsi le point de vue de l’artiste. Ce dialogue se poursuit dans une pièce adjacente, où un autoportrait en diptyque la montre allongée dans son lit, approfondissant encore cette tension. La composition asymétrique accentue la solitude et l’isolement qui suivent un événement traumatique. Des lignes inachevées sur un oreiller, semblables à des barreaux de prison, suggèrent l’enfermement intérieur qu'engendre le deuil, tandis qu’une tache couleur rouille sur le lit fait écho de manière troublante à une scène de crime — une petite mort qui symbolise à la fois la fin d’une relation et l’intimité qu’elle avait autrefois portée.
« Le foyer n'a jamais été pour moi un lieu fixe », confie Valice. « J'ai toujours porté en moi un sentiment de déracinement ».
Des événements récents, tels que les incendies de Los Angeles en début d’année, le décès de son père et la dissolution d'une relation amoureuse, ont intensifié la quête de l'artiste pour saisir ce qui fonde notre ancrage émotionnel, la poussant à confronter les valeurs fondamentales qui subsistent lorsque les espaces physiques et les liens intimes sont rompus. Une partie de cela réside dans les amitiés, représentées par des portraits de ses amis proches, réalisés à partir de références photographiques capturées par son ami d'enfance, Jack Tashdjian. Dans Kuba II, le jeune homme aux boucles blondes sur fond rouge vif, irradie d’une énergie lumineuse, contrastant avec la palette plus monochrome du reste des œuvres. Une manière de souligner comment la présence des êtres chers peut réchauffer l’âme.
Pourtant, les yeux sanpaku de Kuba – un terme japonais désignant des yeux dont la sclère inférieure est visible, suggérant un déséquilibre – ajoutent une couche d'intrigue à sa présence par ailleurs vibrante. Cette caractéristique, que l’artiste capture instinctivement chez tous ses sujets, laisse entrevoir les expériences vécues, les luttes intérieures ou une forme de mélancolie silencieuse. Elle est profondément attirée par ces individus dans la vie réelle, formant souvent des liens instinctifs qui évoluent vers de véritables amitiés, comme si ces yeux parlaient d'eux-mêmes et révélaient la sensibilité de chacun.
Chaque tableau invite à une narration sans fin, s'inscrivant dans la pensée de Francis Bacon selon laquelle « le rôle de l'artiste est toujours d'approfondir le mystère ». Les figures de Valice apparaissent à la fois tourmentées et introspectives, comme prises dans des moments fugaces du passé. Leurs corps et leurs visages, subtilement déformés, reflètent la manière dont la réalité elle-même se déforme sous le poids d'événements marquants. Dans des œuvres comme The Friend Who Brings You Congee (“L'Ami Qui Vous Apporte Du Congee”), leur fragilité est palpable : nus et exposés, ils luttent silencieusement avec leurs propres pensées. En réalisant cette œuvre, l’artiste pensait au livre de Joan Didion, L'Année de la pensée magique, et en particulier au passage décrivant une amie lui apportant du congee (une bouillie de riz traditionnelle chinoise). Cet acte de gentillesse révèle à quel point les attentions les plus simples peuvent devenir essentielles face à l’impact physique et émotionnel du deuil.
Dans la nature morte Chicken Broth (“Bouillon De Poulet”), un poulet cru est présenté à côté d’une marmite en acier avec un détachement clinique, sa chair exposée devient une métaphore frappante de la vulnérabilité de l'artiste, livrée à la vue de tous. Mais c’est surtout l’odeur implicite qui est là pour véritablement nous transporter : l'arôme léger et anticipatoire d'un bouillon qui mijote, une senteur familière des cuisines de l’enfance ou des convalescences. Même pour l’artiste, végétarienne, cette odeur réveille une multitude d’émotions et de souvenirs – une chaleur qui se répand au-delà de l'estomac, une sensation d'être choyé, de retourner à ses racines. C’est sa madeleine de Proust – un déclencheur sensoriel faisant ressurgir des souvenirs vifs que Marcel Proust décrit dans À la recherche du temps perdu.
Animée depuis toujours par sa fascination pour la psychologie et les neurosciences, Jess Valice explore avec passion les multiples facettes du foyer, partageant avec nous ses doutes les plus intimes et ses interrogations existentielles. Rappelant la notion rilkéenne d'« espace intérieur du monde », cette « maison qui se tient en moi » dépasse le cadre matériel pour incarner un sentiment d’appartenance ancré dans la culture, la spiritualité ou la mémoire personnelle.
'Home is Not a Place' nous encourage à affronter nos démons intérieures, à trouver la beauté dans nos souvenirs fragmentés et à découvrir que le foyer peut être trouvé dans les échos du passé et les murmures du cœur.
— Lisa Boudet, écrivaine et commissaire d'exposition
1. Extrait d'une conversation avec Jess Valice le 3 mars 2025 pendant qu'elle travaillait sur son exposition
2. David Sylvester, 'Interviews with Francis Bacon' (Thames & Hudson, 2008)
3. Cassedy, Steven, 'Flight from Eden: The Origins of Modern Literary Criticism and Theory', Berkeley: University of California Press, c1990