J'ai toujours rêvé d'entrer dans "The Wall" de Pink Floyd. C'est-à-dire dans le cerveau de Roger Waters, comme si je squattais dans un appartement défoncé, trop grand pour moi. Je me souviens qu'à sa sortie, ce double album vinyl a suscité un engouement fou, que le film d'Alan Parker a renforcé. Avec ce roman musical, c'est la première fois que j'ai compris ce qu'avait été le Blitz londonien (sept 1940-mai 1941). Je crois qu'il est utile qu'un grand artiste allemand explore la folie des bombardements d'un pays étranger, au moment même où la même chose recommence en Ukraine. Ce qui est détruit ne l'est jamais. On transforme les bombardements en souvenirs, qui eux-mêmes dessinent la reconstruction, l'espoir d'un monde nouveau. Cette absurdité (l'art) est notre unique chance de continuer à vivre.
Je remercie Gregor Hildebrandt et la galerie Almine Rech d'avoir rendu cette expérience possible.Ils ont permis des miracles. Le groupe Pink Floyd s'est séparé mais je soupçonne Gregor d'avoir voulu rajouter une autre brique dans le mur : ses formes fabriquées avec des enregistrements, comme un archéologue à l'envers. Au lieu de fouiller dans les ruines, il crée les siennes. Qu'est-ce que l'art, sinon une méthode de recyclage des ruines pour en faire de nouvelles ? Je pourrais à mon tour recycler une phrase de Françoise Sagan : "Je me demande ce que le passé me réserve." En attendant, j'espère qu'au vernissage, il y aura beaucoup d'alcool pour qu'on puisse se sentir "comfortably numb" et je suis quasiment certain que Gregor va débarquer en criant "Is there anybody out there ?"
— Frédéric Beigbeder